L'APOCALYPSE, LA CONVERSION D'UN REGARD OU LE BOULEVERSEMENT D'UN MONDE ?



Il est difficile aujourd’hui de faire un commentaire quelconque sur le phénomène de l’Apocalypse sans préciser au préalable ce que l’on entend par ce terme. L’acception moderne du mot s’éloigne considérablement de sa signification originelle. De nos jours, le fait de proférer le mot « apocalypse » appelle dans l’imaginaire collectif tout un tas d’images cataclysmiques : le monde qui s’écroule dans les catastrophes naturelles les plus différentes, la panique envahissant la Terre entière et la disparition de la race humaine (ou dans les cas les plus optimistes, la survie de quelques individus choisis). Mais cela ne représente que l’ensemble des associations qui émergent en lisant les Apocalypses de l’Ancien et du Nouveau Testament, celle selon Daniel, selon Ezéchiel, ou celle selon Saint-Jean. Le terme d'apocalypse vient du grec « apokalupsis » qui est la traduction du mot hébreux  « nigle » et veut dire « mis à nu, enlèvement du voile, révélation ». Le lien logique entre les deux termes est maintenant établi étant donné la nature violente et cataclysmale de cette révélation. De ce point de vue, nous pouvons, maintenant, dire quelques mots sur la citation donnée. Que veut dire « L’Apocalypse, la conversion d’un regard ou le bouleversement d’un monde » ? Si par la conversion d’un regard on entend la transformation de ce dernier effectuée grâce à de nouvelles connaissances acquises, métaphysiques ou philosophiques ce qui génère l’adhésion à une nouvelle croyance de quelque nature qu’elle soit, si par le bouleversement du monde on entend son renversement suivi d’un désordre général ce qui tendrait alors à signifier que l’image apocalyptique d’un visionnaire ne concerne que lui-même est par voie de conséquence son propre monde. En revanche, en scrutant de plus près, il est permis de s’apercevoir du problème : Le bouleversement d’un monde, que ça soit au sens biblique, scientifique ou historique, n’est-il pas précédé par ce qui n’est au début qu’une idée ? Et cette idée, ne provient-elle pas d’un seul homme avant d’envahir le champ de conscience de la foule en se transformant en révolution intérieure comme extérieure, de la nature qui correspond au domaine de l’idée initiatrice ?
Nous verrons au fil du texte comment ce qui commence par une idée et ce qui n’est qu’une idée prend progressivement corps et se manifeste. Aussi reste-il une dernière question à laquelle il faudrait répondre : en matière de prophétie, le prophète (le poète) sent-il, intuitivement, l’arrivée des choses futures en les exposant comme une espèce de fatalité ou les crée-t-il par la force-même de son caractère et de ses intentions ? Nous verrons de quelle façon les œuvres, qui nous serviront d’exemple (à savoir cinq livres de W. Blake, Les Châtiments d’Hugo, Aurélie de  Nerval et Choix de rêves de Jean Paul), témoignent du fait que tout se construit à partir de l’idée qui est l’attribut du divin. Nous verrons cet impact sous l’angle  historique et politique, religieux et spirituel.              
Historiquement parlant, deux de ces écrivains se sont engagés à rendre compte de la situation sociopolitique de leur époque. Victor Hugo qui a consacré son recueil Les Châtiments entièrement à Napoléon III et à sa  lutte contre ce dernier et William Blake qui traitait des événements, d’envergure presque mondiale, caractérisant son siècle.
Hugo a passé vingt ans en exil essayant d’inciter le peuple français à la révolution. Ses tentatives n'ont pas porté de fruits, mais la prise de conscience est un processus lent. Une idée naît dans l’esprit d’un homme et se fraye, ensuite, un chemin vers le champ de la conscience des autres. Il serait faux de dire que V. Hugo ne serait que le seul précurseur du futur renversement radical de la situation. Toutefois, grâce à ses inspirations artistiques (synonyme de « prophétiques ») il avait senti l’avènement des choses, lent mais inéluctable. Dans sa « trilogie » : NOX, Expiation, LUX, Hugo traite respectivement le passé qui appartient à l’enfer (NOX), le présent qui sert de purgatoire (Expiation) et l’avenir  lumineux de la France après la chute honteuse de Napoléon III  (LUX). Hugo prédit l’avenir glorieux de la France et la germination de cette idée entraîne l’adhésion sinon totale au moins considérable d’une grande partie des Français. Napoléon III, lui- même, était, dit-on, profondément influencé par les écrits de V. Hugo et ne s’est  jamais remis du choc que lui a causé la première lecture des Châtiments. Hugo attendra vingt ans avant de voir sa prophétie s’accomplir : l’avènement de la III République et la chute de Louis Napoléon Bonaparte. Paradoxalement, c’est justement ce dernier qui contribuera à sa propre perte en raison de la prise de mauvaises décisions, provoquée d’ailleurs par son excès d’orgueil. En cela on peut  dire que Napoléon Bonaparte s’est châtié lui-même et par lui-même. Pourrait-on parler ici de l’autopunition ?
Au livre VI, dans le poème intitulé Les Martyres Hugo dit :

         Saint-Lazare – il faudra  broyer cette bâtisse ! Il n’en restera pas pierre sur pierre un jour !

Une soixantaine d’années après, cette prophétie s’est accomplie. Plus loin, dans le dix-septième poème du livre VI, Applaudissement, au vers 13 et 14 Hugo « prophétise » l’arrivée  d’Haussmann en tant que préfet de la Seine. Grâce à l’initiative de ce dernier Paris est entièrement rénové, « un Paris qu’on refait tout à neuf », pour citer Hugo. Ici, l’intuition prophétique et l’intuition créative se mélangent. Hugo sentait que la loi divine ne permettra jamais que l’usurpation et la parjure persiste longtemps, mais aussi, grâce à sa force de caractère, il a réussi à sensibiliser les gens et faire en sorte qu’ils adhérent à sa philosophie politique, celle de renversement nécessaire de l’empire qui aura lieu dès que la vunérabilité de Louis Napoléon sera suffisamment effective. 
William Blake, quant à lui, exprime de manière très obscure ses croyances révolutionnaires. Que ça soit la Révolution française ou américaine dont il parle, les colonies anglaises en Amérique, la situation en Afrique, toute son œuvre est marquée par des traits historiques. Quoiqu’on ne puisse pas parler de l’œuvre de Blake en tant que prophétique car il n’y a pas de prophéties chez Blake à proprement parler, on peut, en revanche y voir des séquences concernant l’avenir de l’homme qui procède de la loi de cause à effet si minutieusement étudiée par Blake. En effet, il ne prophétisait pas en état de transe, il donnait une explication logique et synthétique après avoir décortiqué et analysé les événements passés. La conséquence suit la cause et  devient cause à son tour. En ce sens, W. Blake est un visionnaire. Il exprime sa révolte par rapport aux « valeurs » politiques établies dans son temps, par exemple quand il dit que les prisons sont construites avec des pierres de la loi et les bordels avec les briques de la religion il fait directement allusion à la perversité et à la corruption de ces deux institutions. Blake détestait l’impact de la révolution industrielle en Angleterre et prônait joyeusement l’établissement de « la Jérusalem  Nouvelle sur la terre anglaise verte et plaisante ».  W. Blake a eu une grande influence sur certains de ses contemporains (quoique décrit comme isolé de la société, trop individualiste et excentrique), il a réussi à ce que l’histoire des années 1790 soit entièrement révisée en son temps comme aujourd’hui. Il interrogeait et subvertissait des libertés politiques de l’époque. Dans l’Amérique il dénonce l’esclavage et la colonisation. Dans l’Europe par le biais de l’emphase mettant en place la domination féminine dans le monde, il anticipe en quelque sorte le futur mouvement féministe et le salue. Il s’insurge contre l’absolutisme royal dans La Révolution Française, contre la famine et les maladies qui sévissent. Blake était un vrai rebelle, un radical, il y avait en lui une désobéissance civile que l’on ne peut pas condamner et qui appelait à la révolution. Donc, il a exercé une certaine influence en son temps mais il en a exercé une encore plus grande dans les années qui suivaient sa mort, encore aujourd’hui il est lu et beaucoup d’artistes l’ont pris comme modèle littéraire ou philosophique, notamment, A. Huxley dont il sera question plus tard. D’un point de vue religieux, on peut dire que les trois auteurs, à savoir, Hugo, Saint-Jean, et Blake, traitent de manière différente leur relation avec les autorités ecclésiastiques.                                                                                                                                                                    

Hugo est croyant, cela ressort de chaque mot qu’il profère mais il est très déçu par les représentants de la religion catholique soutenant, en l’occurrence, son ennemi juré, Napoléon III. Si dans la Bible on parle de l’église comme de la grande prostituée,  Hugo est tout à fait de cet avis. Il range les prêtres et le Pape du même côté que les bandits, les « ruffians » et les brigands. Cela est probant, par exemple, au dixième poème du livre I, Chanson, où il dit :

                                    Vous buvez, apostats à tout ce qu’on révère.

Ici, Hugo par le mot « apostat » s’adresse directement aux autorités religieuses qui ont abandonné leur foi et leur voie chrétienne (exerçant toujours des fonctions religieuses, par-dessus le marché – le comble de l’hypocrisie). Ou quand il défend ces amis poètes et romanciers (Diderot, Voltaire) :

      Ils citent Poquelin, Pascal, Rousseau, Boccace, Voltaire, Diderot, l’aigle au vol inégal, devant l’ official et le théologal. L’esprit étant gênant, ces saints les congédient … 

Ces vers et tout le troisième poème du livre I témoignent de l’hostilité de Hugo envers ces hommes « de  soutane noire ». D’après lui ils ont déformé et estropié la vraie religion du Christ. 
Blake va encore plus loin. Il nie complètement la religion et prône le retour à la source, seule, unique et inimitable, celle de Jésus à l’état pur. Il crée toute une  mythologie en étroit lien avec sa religion et son avis personnels. Il est contre le matérialisme mais ne voit pas l’Eglise en tant que l’antipode de ce dernier, ce qu’elle est, d’ailleurs, supposée être. Les allusions à tout cela sont très implicites car Blake manie un langage obscur et codé, le fait qu’il réécrit et lit la Bible à l’envers parle assez suffisamment de ses humeurs religieux. Orc même représente la rébellion contre le gouvernement, l’histoire et les autorités dites religieuses. Il va même jusqu’à « marier » le ciel et l’enfer, la subsistance des oppositions étant inévitable pour l’harmonie du monde. Dans Un Fantasme Mémorable il ébranle toute la doctrine ecclésiastique enseignant que Dieu est extérieur à l’homme et au monde et qu’il choisit de manière arbitraire son peuple. Blake dit que nous portons tous en nous le Génie Poétique, le principe premier, et que c’est Dieu qui nous parle de cette façon- là. Et que chacun qui écoute assez attentivement peut entendre ses mots. Pour un homme qui a eu des visions toute sa vie, ce n’est pas une chose surprenante. En ce sens, tout homme est capable de prophétie s’il sait écouter son cœur, c’est-à-dire son imagination. Là, se trouve la phrase qui donne la réponse la plus concrète à la problématique de notre sujet. Le narrateur interrogeant le prophète Isaie : « La ferme conviction qu’une chose est ainsi la fait-elle être telle ? », obtient la réponse suivante : « Tous les poètes le croient, et dans les siècles d’imagination, cette ferme conviction a remué des montagnes ; mais beaucoup sont incapables d’être fermement convaincus de rien ». C’est de cette phrase que Huxley a pris l’expression qui lui servirait de titre pour l'un de ses ouvrages et qui explique toute la philosophie de Blake en décalage avec tout ce que l’église veut faire croire :

         Si les portes de la perception étaient nettoyées, toute chose apparaîtrait à l’homme ce qu’elle est, infinie.

On  s’aperçoit que cela est en décalage total avec la doctrine catholique. 
Peut-on parler de la religion en citant Saint-Jean ? Évidemment, il a connu le terme de religion puisque il appartenait au judaïsme mais le christianisme institutionnel commence avec les apôtres de Jésus. Christ prêchait, enseignait mais n’avait jamais établi aucune institution. Par exemple, dans sa première lettre aux Corinthiens, Paul invite ses correspondants à rétablir l’ordre dans leur église. D’ailleurs, aujourd’hui, s’il faut se fier aux archéologues, la première église date de l’an 33-70 après Jésus Christ. Saint-Jean était religieux et cela dans le sens le plus pur du mot. Il craignait la dégradation de l'église qu’il a très bien décrite dans l’Apocalypse : les mœurs dissolues, l’absence de moralité, le penchant vers les vices, incarnés par les ecclésiastes mêmes. Deux mille ans plus tard Hugo et Blake seront les témoins parlants de cette prophétie. Saint-Jean nous incite à ne pas oublier les valeurs premières, le vrai Dieu et son Fils, à ne pas tomber dans le piège de l’église aux mœurs décadentes. 
Il y a un point commun à tous les cinq auteurs. C’est leur soin de peindre le monde tel qui devrait être de manière quelque peu sophocléenne. Ils fuient le matérialisme et toutes les dérives de celui-ci (à l’exception, peut-être, de Hugo qui souhaite voir les résultats de ses désirs se concrétiser). Il ne faut pas confondre la spiritualité et la religion. La spiritualité sert de base à la religion, elle lui est antérieure. Elle est unique et entière, tandis que les religions peuvent êtres divergentes en se différenciant beaucoup, notamment à cause des rites.  
Tout l’ouvrage de Jean-Paul est marqué par la spiritualité. Ceci n’a pas grand-chose à voir avec la religion. Il parle, certes, de Jésus et de Dieu, mais tout cela reste confiné à une dimension strictement individuelle et spirituelle. Jean-Paul nous fait part de sa perception des choses, de ses rêves et de ses cauchemars. Le monde sans Dieu est angoissant et terrible. Sans notre Père, nous sommes sans protection, à la merci de l’univers, dans les ténèbres. Ici, il n’y pas vraiment de prophétie, o pour dire mieux c’est la ‘prophétie’ de quelque chose qui ne se passe pas : la vision d’un monde différent demeurant en chacun de nous et  caractérisé par le doute et l’incertitude de notre existence spirituelle. Qu’est qui se  passerait si rien ne se passait ? Telle est la question posé par l’auteur. A quoi  ressemblerait notre vie si tout ce en quoi nous croyions était faux. Le cauchemar qu’il fait est plus ou moins celui de tout le monde. Quand Jean-Paul décrit un de ses beaux rêves ou même parle de son réveil après un cauchemar nous avons toujours l’impression d’être dans un locus amoenus, dans un univers autre que celui-ci. C’est ce qui arrive à la fin du texte Du haut de l’édifice du monde, le Christ mort proclame qu’il n’y a point de Dieu. La description de la nature, le reflet de son état d’esprit, nous plonge dans un sentiment de bonheur et de sérénité. Les rites religieuses (à part la prière) n’ont aucune importance pour Jean-Paul, la seule chose qui compte c’est la foi intérieure, le savoir intuitif que Père est là, qu’il existe. Si l’on définit la  spiritualité comme une quête d’éternité et de sens, alors elle s’applique à merveille à l’œuvre de Jean-Paul. Pour lui, si Dieu n’existe pas, la vie et l’éternité n’ont pas de sens et c’est cela la vraie Apocalypse. Vu sous cet angle-là, effectivement on peut constater que son Apocalypse est une Apocalypse intérieure qui est plus celle d’un  individu et de l’anéantissement de son monde personnel que celle concernant le  monde réel. Son état d’âme étant changé, l’image a pris des proportions universelles.
La spiritualité de Nerval (et c’est son point commun avec Jean-Paul) est tout en rêve et se manifeste par rêve. Sauf que chez Nerval, c’est un rêve que l’on peut qualifier de lucide. Toujours est-il que ses rêves sont prémonitoires ou simultanés aux événements. Lorsqu’il rêvait de la nature qui mourrait avec la femme et lorsqu’il entendait les mots : « L’Univers est dans la nuit ! », c’était presque au moment précis où sa bien-aimée se mourrait. Les états d’esprit de Nerval sont psychédéliques. Là, où la folie et la spiritualité se croisent apparaît génie visionnaire. On ne comprendra jamais les mécanismes secrets qui régissent l’esprit humain. Son malheur personnel, la perte de la femme aimée, Nerval vit comme une vraie Apocalypse biblique. Sous l’emprise de la fièvre il fait des rêves sur le Déluge, sa psyché se décompose : « Je sens deux hommes en moi », cite-t-il un Père de l’Eglise, mais évoque sa propre  situation. La réceptivité dans laquelle il se trouve lui permet de saisir intuitivement ce qui se passe, de comprendre les choses dont la signification est hors de la portée mentale de l’homme ordinaire. Le monde extérieur est le miroir de son monde  intérieur c’est pour cela qu’il le voit apocalyptique. 
Tandis qu’Hugo se cantonne aux principes religieux, Blake inclut dans son œuvre une dimension spirituelle. Donc, la religion mise à part, Blake est un écrivain spirituel par excellence. Son esprit lui avait même dicté de quoi faire une mythologie moderne. Sa conception diverge beaucoup de celle de Jean-Paul par exemple. Chez ce dernier, la spiritualité représente l’état pur du divin, chez Blake les choses ne sont  pas si simples. Lui voit l’éternité en tant que réconciliation et coexistence de toutes les oppositions, de tous les contraires. Adepte des sciences obscures et de l’alchimie il croit que le monde et l’histoire sont fruit de la chute, étant divin l’homme est devenu un simple mortel ignorant sa vraie nature, il a oublié qu’il avait oublié :

             De la  sorte les hommes oublièrent que toutes les divinités résident dans le sein de  l’homme.
                                                                                                          (Le Mariage du Ciel et de l’Enfer)

Son destin est celui d’un rebelle (symbolisé par Orc), il doit s’insurger contre le matérialisme pour accéder à l’éternité. Pour cela il faut qu’il fasse appel à l’imagination car la raison sans imagination est « stérile », cela se voit bien dans le personnage mythologique d’Urizen. Dans  l’Amérique ou La Révolution Française, on constate que Blake accorde une  grande importance au réveil spirituel, individuel. Tout commence par l’idée, seule, isolée, incomprise, rejetée mais s’avérant nécessaire. Dans le premier Fantasme Mémorable il parle de l’étincelle divine qui brille en tout un chacun, le génie qui ne demande qu’à être reconnu et cru. A partir de là, l’idée devient contagieuse comme une maladie et se propage vers d’autres individus, alimentant leur champ de conscience. L’homme doit devenir conscient de sa vraie nature et commence à en disposer, tel est le message véhiculé par Blake. Une fois compris cette sainte vérité, l’homme soit périra dans le fléau de l’Apocalypse soit obtiendra l’harmonie des contraires et vivra dans l’éternité. Tout dépend de son regard intérieur projeté vers la réalité. L’on peut dire par rapport à cela qu’il est difficile d’appliquer la définition de l’Apocalypse en tant que simple conversion du regard intérieur sans conséquences sur le monde qui nous entoure à la pensée blakienne. Il croit fermement que c’est justement ce regard-là qui changera le monde et le mènera vers sa fin, bonne ou mauvaise. Orc est seul contre tous, son caractère rebelle le conduit vers des victoires plus ou moins sanglantes mais cela est inévitable. 
Religieux, spirituel, prophétique, Saint-Jean réalise une oeuvre qui aura l’impact  gravissime sur les générations à venir. Il englobe en lui la force spirituelle et religieuse, l’inspiration divine et la conscience du Christ. Citons à ce propos Pierre  Leyris :

    Des Prophètes au sens moderne du mot, il n’en a jamais existé (…) Tout  honnête homme est un Prophète (…) : ‘Si vous continuez ainsi, il en résultera ceci.’ Il  ne dit jamais : ‘Telle chose arrivera quoique vous fassiez.’ Le Prophète est un Voyant  pas un dictateur arbitraire.

C’est là où convergent les points de vue de Blake et de Pierre Leyris et même implicitement de Saint-Jean. Ce dernier a compris la loi qui régit le monde. Chaque cause a un effet et chaque effet a une cause. Il avait, en partie vu, en partie deviné, ce que le monde, son monde contemporain, devenait, et en quoi il se transformait, il croyait nécessaire d’en parler aux gens pour les avertir. On ne peut pas vraiment dans ce cas évoquer la conversion du regard de Saint-Jean, mais plutôt de la « conversion » des mœurs des gens qui viendront après lui sur la Terre. Le prophète est celui qui voit dans le futur mais à partir du présent, définition chère à Blake. Alors, s’il faut se fier aux visions de Saint-Jean, notre monde encourt un grand danger s’il ne change pas radicalement quelque chose dans sa façon de vivre et de se comporter. L’Apocalypse biblique est l’aperçu des événements à venir, conséquence de nos actes. 
En effet, l’esprit de chacun fonctionne à la manière qui lui est propre. Chaque artiste a l’inclination envers un phénomène ou l’autre : rêve, vision, voix… En  fonction de sa personnalité on pourrait parler de la crédibilité de sa prophétie. Mais il y a deux grands groupes de prophètes : ceux qui sentent les événements en les inférant à partir des choses présentes (Saint-Jean, Blake) et ceux qui par la force de leur mental et de leur volonté les provoquent en les ayant prédit.                                     


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